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A fair amount of killing

Théorie Communiste et Alcuni fautori della comunizzazione

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Il n’y aura pas de paix. A tout moment, durant notre vie entière, il y aura de nombreux conflits dans des formes mutantes, tout autour du monde. Le conflit violent fera les gros titres des journaux, mais les luttes culturelles et économiques seront plus constantes et en définitive plus décisives. Le rôle de facto des forces armées américaines sera de maintenir le monde comme un lieu sûr pour notre économie et un espace ouvert à notre dynamisme culturel. Pour parvenir à ces fins, nous ferons un bon paquet de massacres [a fair amount of killing]. (Commandant Ralph Peters, « Constant Conflicts », Parameters, été 1997)

En Irak, la guerre actuelle est la première, à grande échelle, qui a pour enjeu l'accélération de la mondialisation de la reproduction du capital. Les vestiges des deux guerres mondiales qui avaient organisé l’époque contemporaine achèvent de disparaître, tous les pôles concurrents de l’accumulation capitaliste mondiale sont brutalement redéfinis dans leur rapport aux Etats-Unis.

De la defaite du mouvement ouvrier a la restructuration et a la guerre

La guerre actuelle impose, à l’échelle planétaire, le contenu et la forme du rapport d’exploitation capitaliste tel qu’il est sorti de la restructuration née dans la défaite ouvrière du début des années soixante-dix. Des Partis Communistes jusqu’à toutes les formes du gauchisme, du conseillisme et de l’autonomie ; de la révolution allemande à Mai 68 et l’automne chaud italien en passant par la guerre d’Espagne, il s’agissait toujours, pour le prolétariat, de faire valoir une réorganisation de la société sur la base de sa puissance acquise dans la société capitaliste. Toutes les vaches n’étaient pas grises, mais toutes étaient dans le même pré. Les modalités mêmes de reproduction du capital confirmaient cette puissance comme mouvement ouvrier et identité ouvrière qui trouvaient leurs marques les plus solides dans les compromis élaborés dans le cadre national où, de façon plus ou moins cohérente, se bouclait l’accumulation du capital. Le prolétariat était la classe du travail associé et, en tant que tel, il subvertissait les formes d’appropriation et d’exploitation capitaliste de ce travail associé qui se révélèrent alors comme limitées. A la demande de se sacrifier pour « sortir de la crise », il avait allègrement répondu que l’obligation au travail salarié méritait seulement de crever.

Contre ce vaste mouvement de révoltes ouvrières, la classe capitaliste releva le défi. De droite à gauche de cette classe, il s’agissait de faire place nette de tous les obstacles à la fluidité de l’exploitation et de sa reproduction. Contre le cycle de luttes antérieur, la restructuration a aboli toute spécification, statuts, « welfare », « compromis fordien », division du cycle mondial en aires nationales d’accumulation, en rapports fixes entre centre et périphérie, en zones d’accumulation interne (Est / Ouest). Le mouvement ouvrier a disparu et l’identité ouvrière est devenue un folklore branché. L’extraction de plus-value sous son mode relatif se devait, dans cette restructuration, cette lutte des classes, de bouleverser constamment et d’abolir toute entrave en ce qui concerne le procés de production immédiat, la reproduction de la force de travail, le rapport des capitaux entre eux. Aujourd’hui, ce procès ne comporte aucun élément, aucun point de cristallisation, aucune fixation qui puisse être une entrave à sa fluidité nécessaire et au bouleversement constant qu’il nécessite.

Dans ces caractéristiques, la restructuration est mondiale et crée un monde à son image. Le monde n’est pas un cadre donné. En ce sens, la mondialisation n’est pas une extension planétaire, mais une structure spécifique d’exploitation et de reproduction du rapport capitaliste. La critique de la mondialisation ne peut être un point de départ de la critique actuelle du mode de production capitaliste.

De la restructuration du rapport d’exploitation est sorti un monde nouveau. Là où il y avait une localisation jointe des intérêts industriels, financiers et de la main-d’œuvre peut s’installer une disjonction entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail. D’un côté, les fractions ou segments du cycle mondial global du capital créent un « surmonde » au niveau des investissement, du procès productif, du crédit, du capital financier, de la circulation de la plus-value, du cadre concurrentiel. De l’autre, « ceux d’en bas » ont droit à une assistance compassionnelle et « ceux d’encore plus bas » aux missions humanitaires. A termes, le mieux auquel on puisse prétendre est d’appartenir à cette force de travail collective achetée à vie contre un revenu social misérable et par là individuellement et transitoirement exploitée à plus faibles coûts. Cet uniforme précarisation de la reproduction d’un salariat de plus en plus dévalué inclut la menace d’être précipité dans le cercle en dessous. Au dessous, c’est « l’enfer sur terre » : le « sous-monde » de la misère et de l’exode rural, des économies parallèles de survie, des camps de réfugiés. les espaces modernes de la souffrance télévisée montrent aux citoyens la nécessité des appareils de contrôle et de sécurité qui gèrent ces flux humains par l’exclusion et l’injustice ordinaire.

Petite guerre barbare deviendra grande1

Dans ce nouveau monde, un peu partout s’installe un système de répression prépositionné dans une étroite conformité entre l’organisation de la violence et celle de l’économie jusqu’à effacer la distinction entre guerre et paix, entre opérations de police et guerres. Dans les favelas du Brésil, les prisons des Etats-Unis, les banlieues des grandes métropoles, les zones franches de Chine, les contours pétroliers de la Caspienne, la Cisjordanie et Gaza, la guerre policière est devenue la régulation sociale, démographique, géographique, de la gestion, de la reproduction et de l’exploitation de la force de travail. La répression est permanente, non pas partout, mais partout possible : interventions « coup de poing », mission de pacification forcée, missions policières, missions humanitaires. Il s’agit d’une gestion globale : revenus à la limite de la survie, sous menace de mort, pour des masses d’individus lancées vers les villes par la destruction des agricultures, jetables après usage et massacrées par des paramilitaires ou parapoliciers.

L’espace de ce nouveau monde capitaliste n’est que la reproduction à toutes les échelles (monde, continents, aires régionales, pays, métropoles, quartiers) de cet enfer et de son organisation en cercles. L’exploitation et sa reproduction organisent une géographie où chaque territoire met en abîmes la hiérarchisation mondiale. C’était déjà l’organisation classique de la « jungle américaine », de ses villes, de ses ghettos, de ses banlieues proprettes, de ses Disneylands. A chaque niveau d’échelle, se côtoient et s’articulent : un noyau « surdéveloppé » ; des zones constellées de focalisations capitalistes plus ou moins denses ; des zones de crises et de violence directe s’exerçant contre des « poubelles sociales », des marges, des ghettos, une économie souterraine du trafic d’hommes et de femmes contrôlée par des mafias diverses.

Si Trotski définissait le fascisme comme Al Capone avec les manières du grand capital, aujourd’hui cette formule doit être renversée, dans ces nouvelles articulations de l’espace social c’est le grand capital qui a pris les manières d’Al Capone. Les mafias qui représentent la seule branche du capital international qui manient à la fois le capital financier et la violence locale permanente sont les alliés naturels des « gouverneurs de province » qui entreprennent des guerres bon marché, des petites guerres de conquête, guerres de voisinage poussées jusqu’à l’ethnicisation et comportant le massacre et le nettoyage ethnique comme moyens ordinaires de traitement des exclus.

Il ne s’agit jamais de la mise en forme d’un espace vierge mais d’une histoire. Le zonage est mouvant, la lutte des classes le modifie, transforme les niveaux d’insertion, c’est le cadre dans lequel elle se déroule et simultanément qu’elle construit (les entreprises quittent l’Indonésie où la main-d’oeuvre est « trop chère » pour le Vietnam). C’est un cadre constamment à imposer parce qu’il est constitué par la lutte des classes elles-mêmes qui peut même momentanément se renationaliser, chercher à recréer, comme au Brésil, des compromis au niveau hiérarchique assigné par la totalité. La lutte de classe modèle et rend mouvante cette décomposition / recomposition, elle impose pour chaque espace des marges de manoeuvres et recrée pour chaque territoire des enjeux de différenciations. En même temps que la classe capitaliste mondiale et ses fractions locales imposent mondialement une mise en forme spatiale de l’exploitation.

Après les petites guerres barbares du Kosovo, de Timor, de Colombie, de Panama, de Somalie, de Bosnie, du Rwanda et du Zaïre, d’Afghanistan, la guerre actuelle est la première, à grande échelle, qui a pour objet la mise en forme de cette nouvelle économie-monde globale qui est l’espace que construit la restructuration du mode de production capitaliste.

Irak : l’enjeu

Il n’y a plus de Question d’orient.2

Israël est, au Moyen-Orient, le fer de lance, un véritable modèle de la formation d’un tel espace economico-social. Par sa seule existence, en tant que coupure géographique du monde arabe, incitation au fractionnnement religieux, stérilisation des ressources dans l’effort militaire et avant-poste militaire qui a permis de frapper directement tout essai d’autonomie économique ou politique de la région, Israël en a signifié le « retard » et le « sous-développement » .

Au travers les guerres de 1948, de 1956, de 1967 et de 1973, ce sont les contradictions sociales internes du monde arabe qui se développent et se règlent dans l’affrontement avec Israël. Par l’existence et la pression des réfugiés palestiniens, la contrainte au développement imposée par le présence israélienne devient une contrainte interne aux pays arabes. La trame des rapports sociaux traditionnels se décompose, se révélant incapable d’intégrer la masse des réfugiés. Le réfugié palestinien est désormais un prolétaire a-priori.

Après 1967, tout le prolétariat du Moyen-Orient est impliqué dans la tourmente que représente pour lui la crise du modèle de développement autocentré. Israël, une fois occupés les Territoires, est parvenue aux limites de son modèle de développement capitaliste « autosuffisant » fondé sur l’ « exclusivisme », la valorisation du travail « juif » et les financements provenant de la diaspora, et s’engage donc dans la voie de l’industrie d’assemblage et de la sous traitance, dans laquelle est utilisée une main-d’oeuvre palestinienne souspayée : un « petit dragon » qui fonde son économie sur la fixation d’un rapport de force de puissance occupante. C’est dans ce cadre que l’OLP, dont Arafat est président à partir du 1969, émerge comme dernier bastion du nationalisme arabe. Après Septembre Noir (1970) en Jordanie, l’intervention syrienne puis israélienne au Liban en 1975 et 1982, les Palestiniens sont progressivement éliminés en tant que force autonome qui avait déstabilisé les divers systèmes politiques et sociaux de la région.

En 1973, la guerre ouvre une nouvelle phase dans le développement du capitalisme au Moyen-Orient. Le choc pétrolier de 1973–74 en est le début éclatant. Mais l’intoxication par la rente stérilise la rente. Cette dernière circule comme revenu dans une économie fondamentalement distributrice, dans laquelle la force de travail est toujours « trop chère » et les robinets en or trop nombreux. Avec la rente, la plus-value comme revenu est déjà donnée et il s’agit seulement de se l’approprier. La main-d’oeuvre locale est trop prétentieuse et il faut lui substituer, dans les puits et sur les navires, une main-d’oeuvre immigrée. Les transferts de salaires modifient alors profondément toutes les économies locales en même temps que la nécessité de cette circulation de main-d’oeuvre, outre l’abaissement de son coût, signifie l’incapacité régionale à reproduire, dans les rapports capitalistes existants, une classe ouvrière. Le système entre en crise dans les années 80, étouffé par les dettes qu’il a accumulé.

Dans cette phase initiale de la globalisation, sur fond de pétrodollars, Israël et les pays arabes rivalisèrent dans la manière de reproduire et gérer une force de travail fondée sur son maintien en situation de relégation aussi longtemps qu’elle ne se révèle pas inutile et donc éliminée. La faillite du cadre national arabe et la délégitimisation de l’Etat sont alors les fondements de la renaissance de l’islamisme. Il exprime, organise et contrôle la pauvreté en tant que telle. Il construit le peuple comme une communauté, d’un côté contre les classes sociales, de l’autre contre le citoyen (les deux Satans). Les « damnés de la Terre », dont certains attendaient la destruction du système capitaliste « occidental », sont devenus, à la suite de l’universalisation du mode de production capitaliste, les « inutiles au monde », les « pauvres » qui trouvent l’expression de leur souffrance et la forme communautaire de leur révolte dans toutes les religions.

La révolution iranienne fut le coup de grâce du nationalisme arabe. Mais la direction islamique exprima rapidement que sa principale fonction était le contrôle social et démographique sur une aire de crise. Elle s’engagea dans une guerre de dix ans avec l’Irak, dont l’unique but semble d’avoir été l’extermination réciproque de la population en excès, la mise au pas d’une classe ouvrière remuante au moment de la révolution en Iran, d’une main-d’oeuvre essentiellement chiite dans les pétromonarchies et le sud de l’Irak.

Le nationalisme de l’Irak était lui aussi fondé sur la circulation de la rente pétrolière. L’Irak ne contestait pas l’économie de rente, il ne contestait que son aspect « parasitaire », la contradiction de son développement consistait à vouloir faire de la rente le fondement d’une économie nationale. Il était amené lui-même à plonger dans une formidable croissance des dépenses militaires. Le caractère improductif de ces dépenses n’est qu’un aspect particulier de l’absence d’objectifs et de projets industriels cohérents. L’Irak ne pouvait qu’espérer une reprise des exportations pétrolières et ne résista pas à la chute du prix du pétrole sous les huit dollars le baril. l’Irak de Saddam Hussein n’est pas l’ultime avatar du nationalisme économique arabe autocentré, il est le résultat des contradictions et de l’échec, au Moyen-Orient, de l’intégration rentière régional. Avec le plein accord occidental, l’intégration rentière avait assujetti les prolétaires à un projet de développement qui avait dans la dette extérieure son fondement et qui à la fin des années quatre-vingt était devenu anachronique. Il y avait partout des rapports sociaux spécifiquement capitalistes et nulle part leur dynamique propre de reproduction.

Le résultat de la guerre du Golfe de 1991 a garanti à l’Irak cette mise à l’écart du marché mondial à laquelle il aspirait et à laquelle pouvait résister sa bande de affameurs, gras et en uniforme. Il y a dix ans, les Etats-Unis résolurent le problème global de la rente à travers son contrôle par l’Etat américain et les grandes compagnies pétrolières. La guerre de 1991 réalise l’élimination nécessaire de la figure autonome du rentier en tant qu’autonomisation de la rente face à la péréquation générale du taux de profit. La victoire américaine déconnecte la fixation, la circulation et l’utilisation de la rente des nécessités, des enjeux, des rivalités et des caractéristiques spécifiques (démographiques, historiques, économiques, sociaux, confessionnels), inhérents aux lieux de production. Ce fut un travail vite fait, bien fait, au nom de toute la « communauté internationale ».

La guerre actuelle

Cette solution globale a pu se stabiliser, mais avec l’éviction de l’Irak. Si la guerre de 1991 fut encore une guerre qui s’est jouée sur le plan des rapports inter-étatiques, l’actuelle se proclame ouvertement comme moment régional d’une « solution planétaire » aux désordres internes de la globalisation de la reproduction du capital : l’armée américaine intervient à Kandahar, à Mogadiscio ou à Bagdad comme à Los Angeles. Les Etats-Unis imposent à leurs « partenaires » les nouvelles règles du mode de production capitaliste. Au Moyen-Orient, comme partout, les intérêts économiques des Etats-Unis se situent à une échelle d’organisation supérieure à celle de chaque Etat de la région ou de leur somme. Le globalisme des intérêts américains impose de déconstruire les souverainetés nationales et les logiques de voisinage territorial et de recomposer les éléments nationaux en branches fonctionnelles à vocation transnationales sur lesquelles s’exerce le « leadership naturel » des Etats-Unis dans une réunification de ce nouveau monde balkanisé. « Hostile aux intérêts des Etats-Unis » désigne tout ce qui peut faire obstacle à la libre circulation du capital : un chantage absolu sur les autres puissances économiques, un contrôle absolu de tous les flux. L’Irak, de par son histoire récente, son poids démographique, sa capacité de nuisance militaire, ses réserves pétrolières est l’obstacle incontournable à l’installation de cette configuration.

Si pour les Etats-Unis, l’ennemi est désigné sous l’appellation de « terrorisme », il ne s’agit pas seulement de propagande paranoïde. L’Irak lui-même n’est qu’un moment dans un processus guerrier d’emblée défini comme récurrent, l’ennemi n’est plus un adversaire désigné mais la forme labile d’opposition et de résistance intrinsèques à la réorganisation de l’exploitation et de sa reproduction.

L’islamisme est l’adversaire parfait tout désigné. L’islamisme qui fut le comparse des Etats-unis dans la faillite du nationalisme arabe a disparu comme projet national. L’islamisme actuel résulte de la remise en cause du cadre national de l’accumulation capitaliste et de la situation paradoxale de la reproduction de la force de travail simultanément soumise à des conditions d’exploitation et de mise au travail relevant d’un cycle mondial du capital et, par cela même, renvoyée à la « re » création de conditions et de cadres de reproduction « traditionnels ». De la Mer Rouge à l’Indonésie ce n’est pas une supposée contraction du développement capitaliste qui pose problème mais au contraire l’énorme développement spécifiquement capitaliste qui y a eu lieu depuis 25 ans. La résurgence de communautés diverses trouve sa raison d’être dans leur dépendance vis-à-vis du marché mondial. La situation de la force de travail y est fondamentalement la même que dans les aires les plus développées : la force de travail existe face au capital comme force de travail social globale. Mais alors qu’elle est dans les aires développées globalement achetée par le capital et individuellement utilisée, il n’y a pas d’achat global dans les nouvelles périphéries. D’où l’importance de la disciplinarisation de la force de travail (pendant de l’ethnicisation de sa reproduction) face à un prolétaire transformé en pauvre qui revendique la richesse dans un désir / haine des Etats-Unis.

De son côté Israël est à nouveau la contrainte et le fer de lance de l’histoire régionale du capitalisme. Le sionisme, son capitalisme social-pionnier, sa démocratie blindée, sont morts ; le « petit dragon » sur le dos de la main-d’oeuvre palestinienne a fait long feu. L’équilibre sorti de la guerre du Golfe avait amené Israël à conclure des accords (à Oslo et à Paris) qui déjà au moment de leur ratification étaient largement anachroniques. L’éclatement communautariste de l’Etat israélien, le branchement high-tech de l’économie, la capacité des autres secteurs à gérer comme micro flux leurs besoins de main-d’oeuvre à l’échelle locale et plus massivement celle en provenance d’extrême orient, l’identité entre son activité militaire et sa politique, assigne à Israël un rôle tout particulier dans le cadre régional général dont cette guerre doit accélérer la mise en place. Déjà, en Israël, la valorisation du capital est un emboîtement d’espaces. Les mois qui ont précédé cette guerre sont ceux-là mêmes où ont été poussés à l’extrême l’indistinction entre guerre et paix qui caractérise l’Etat israélien depuis sa fondation et le confinement des territoires occupés. De son côté, l’Autorité palestinienne était délégitimée dans le mouvement de concertation continuelle avec la puissance occupante qui devait la mettre en place, elle devint un racket sur la main-d’oeuvre intérimaire et sur les ressources provenant de l’aide humanitaire. La seconde Intifada éclate autant contre l’occupation capitaliste israélienne que contre l’Autorité palestinienne. Renvoyée à une mise en ghettos et à des solidarités de proximité, la société et la lutte palestiniennes s’ethnicisent, ethnicisation tout à fait moderne. Elle y trouve la capacité de survivre à un rapport de forces qui la condamne à être celle d’étrangers partout dans le monde et la sépare du prolétariat israélien. Même ethnicisée, c’est une lutte de classes qui oppose l’Etat d’Israël aux Palestiniens et c’est dans cette lutte entre des classes que partout se constituent conflictuellement les nouvelles configurations de la reproduction du capital.

Le mouvement pacifiste

Le mouvement pacifiste qui s’est manifesté depuis quelques mois veut préserver de l’horreur de la guerre la société vue comme l’ensemble de ses victimes civiles potentielles. Il dénonce et cherche à empêcher l’éclatement de la guerre comme si celle-ci devait encore devoir éclater. Il craint le début d’un procés d’explosion en chaîne destructrices et incontrôlables dont les fauteurs de guerre seraient seulement inconscients. Continuellement, il répète que la guerre aura des conséquences imprévisibles. Imprévisibles ? Les manifestants espagnols, italiens ou anglais (et même français) ont parfaitement fait le lien entre la violence voulue de la réorganisation sociale du Moyen-Orient et la violence déjà là et à venir du rapport d’exploitation. Le mouvement pacifiste, en tant que tel, est strictement à la hauteur de l’enjeu : le compromis, la gestion sociale de la reproduction de la force de travail et de son exploitation ne sont plus un soucis spécifique de la classe capitaliste. La guerre est la forme paroxystique de cette évidence quotidienne : « on prend les gens et on les jette ». La société a peur. Le mouvement est pacifiste. Il est contre l’évidence de la violence inscrite dans la restructuration des rapports capitalistes et il l’est, maintenant, de façon adéquate à cet accélérateur de la mise en forme de la restructuration qu’est cette guerre. Cette violence est tellement évidente qu’elle est comprise par les bonnes sœurs. Il est un mouvement de masse parce que précisément il a ces caractéristiques.

Il est pacifiste parce qu’unanimiste, interclassiste, consensuel. Les manifestants savent que la guerre actuelle est l’expression d’une violence générale, mais aucun appel à la « guerre sociale » le fera dépasser ce démocratisme radical qui le pousse à s’opposer à la guerre comme si elle était seulement l’expression de la volonté de quelques politiciens dont ils dénoncent l’illégitimité et l’arrogance. Le mouvement défend une gestion politique et sociale des conflits, la réalisation de compromis à toutes les échelles, il est contre l’instauration de la violence crue, physique et économique, comme régulation des rapports sociaux, il défend des intérêts bien concrets et bien réels et il a parfaitement compris la fonction générale de cette guerre comme paradigme de la mise en ordre mondiale. Tous les thèmes du mouvement pacifiste en découlent : la guerre comme un dysfonctionnement, un déséquilibre qu’il s’agit de corriger par la démocratie, par un sursaut de nos Etats (mais Chirac, le jour qui a suivi le déclenchement de la guerre a corrigé sa propre position en reconnaissant de façon réaliste que le nouvel ordre mondial ne pouvait être anti-américain) la négociation, le contrôle citoyen des institutions internationale, la désobéissance civile. Si c’est là qu’il trouve sa massivité, cela signifie qu’il la doit aussi aux fractures dans la classe capitaliste mondiale que cette guerre met à jour et à son adéquation à certaines fractions, il se construit et existe dans ces fractures qui lui confère son unanimisme en le légitimant… qu’il le veuille ou non.

Cependant, si la « communauté internationale » est déchirée par l’acte de force américain, elle est absolument unie quant aux moyens de la répression mis en oeuvre dans tous les pays. De ce point de vue, sur le « front interne », le paysage international est uniforme. Tous les Etats écoutent, émus, les appels à la raison des Papes de toutes les Eglises, mais c’est l’armée ou la police qui intervient contre ceux qui dépassent le seuil du « symbolique », c’est-à-dire ceux qui remettent en cause, dans la vie de tous les jours, ce dont cette guerre est précisément la mise en forme accélérée : les transformations du rapport d’exploitation.

La restructuration bouleverse toutes les combinaisons sociales, tous les rapports sociaux fondés sur le capital, elle crée une opposition de la société à ces bouleversements multiples et en chaîne. Le mouvement pacifiste est une opposition sociale à la restructuration mais il n’est que cela : une opposition sociale. Il s’oppose au bouleversement de la société, mais la société n’est que le résultat dernier du procès de production dans lequel l’origine de ce résultat, le procès de production comme procès d’exploitation, a été abolie, s’est évanouis d’elle-même. Il en résulte cette chose paradoxale : si le mouvement pacifiste est réellement une opposition à la restructuration, la classe ouvrière n’a cependant pas manifesté un intérêt immédiat à y participer. Aux Etats-Unis, les dockers en grève de la côte Ouest ont continué à charger les navires militaires, en Grande Bretagne, les trade unions n’envisagent d’utiliser le mécontentement anti-Blair que pour tenter de régler leurs comptes avec le New Labour, en Italie les drapeaux « Pace » sont de plus en plus clairsemés au fur et à mesure que l’on s’éloigne des centre-villes et la CGIl est plus que timide dans ses appels à la grève. Ce paradoxe est celui de la généralité sociale qui, dans dans sa constitution achevée, efface son propre procès de réalisation comme résultat du procès de production. Lutte de classe et mouvement social ne s’excluent pas, ils se compénétrent, mais ils ne s’identifient jamais. Dans l’opposition à l’unipolarité américaine, le pacifisme a mis en forme une opposition conforme à la restructuration où la lutte de classe a disparu dans son résultat : le mouvement social.

A suivre : « De la restructuration du rapport d’exploitation à la communisation »…

Supplément au n°18 de Théorie Communiste en collaboration avec Alcuni fautori della comunizzazione

Notes

1. Alain Joxe, L’empire du chaos

2. Théo Cosme, Moyen Orient 1945–2002. Histoire d’une lutte de classes

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